La NASA envisage de modifier la mission Artémis 3, privilégiant un rendez-vous en orbite terrestre entre le vaisseau Orion et Starship, ou la substitution d’Artémis 4 à Artémis 3 pour accélérer le déploiement de la station spatiale lunaire.

À quelques jours du 4ème essai en vol de la fusée Starship, à six mois de l’élection présidentielle, neuf de la date initialement fixée pour la première mission habitée, trente de la date déjà recalée…la NASA a annoncé qu’elle réfléchissait à un tout autre contenu pour cette première mission habitée (Artémis 3).

… les Jeux Olympiques auront bien lieu à bonne date mais sous la forme d’un tournoi de macramé…

Pour mémoire, Artémis 1 a permis de tester en 2022, sans astronaute à bord, la fusée SLS[1] et le vaisseau Orion[2] sur un trajet aller et retour vers la Lune, sans alunissage puisque Orion n’est pas prévu pour (pas plus que ne l’était la capsule Apollo). Artémis 2 est programmée pour la fin de l’année prochaine ; ce sera une répétition d’Artémis 1 à la différence, essentielle, qu’il y aura des astronautes à bord[3].

Artémis 3, initialement prévue à la fin de l’année 2024, a été décalée, par deux reports successifs, à la fin de 2026. C’est là la mission phare du programme de retour sur la Lune : deux Américains fouleront, pour la première fois depuis 1972, le sol lunaire.

En faisant état de cette réflexion, la NASA confesse l’embarras dans lequel elle se trouve. À quelques mois de l’échéance électorale qui, quel que sera le vainqueur, amènera une nouvelle équipe et une nouvelle administration, elle éprouve le besoin de « déclarer à la douane » les difficultés qui s’accumulent. La rhétorique d’une mission maintenue certes, mais seulement par la date et l’intitulé ne suffit à masquer qu’il s’agit d’un troisième, mais pas du tout dernier, report du retour américain sur la Lune.

Ce faisant, elle laisse percer des signes annonciateurs d’une redéfinition, non pas de la seule mission Artémis 3 mais de l’ensemble du programme lunaire. 

LA NASA étudierait deux alternatives à l’actuelle Artémis 3

La première consisterait en un rendez-vous, en orbite basse terrestre, entre un Starship et un Orion avec le passage d’astronautes de l’un à l’autre. ( Les astronautes voyageant depuis et vers la Terre à bord d’Orion qui, en la circonstance d’une orbite visée terrestre et à basse altitude, pourrait être lancé par un lanceur moins cher que le SLS)

La seconde serait l’anticipation d’Artémis 4, censée déployer les premiers éléments de la station spatiale lunaire, la Deep Space Gateway[4].

On pourrait ne voir là qu’une optimisation du plan de développement : une ligne du programme étant en difficultés, on fait avancer les autres… 

C’est en fait davantage un échange entre des difficultés terribles et d’autres moins effrayantes, et aussi un gros déport par rapport aux objectifs politiques qui gouvernent l’ambition lunaire américaine. 

Un rendez-vous en orbite basse… diantre!

La surprise vient de ce que cette validation du rendez-vous entre les deux vaisseaux n’était jusque-là pas évoquée, égarée dans une communication aussi parcimonieuse que confuse sur le plan de développement du programme d’ensemble. Cette étape, absolument indispensable avant le grand départ vers la Lune, était nécessairement prévue avant Artémis 3. En la glissant sous la bannière et dans le créneau d’Artémis 3, on ne fait qu’habiller un report de quelques (?) mois pour la validation du rendez-vous entre Orion et Starship, sine die pour la mission de retour sur la Lune. 

C’est l’espoir de disposer en 2026 d’un Starship au moins compatible de cette étape de validation qui a inspiré la solution. Pour un rendez-vous en orbite basse terrestre, il n’est pas besoin d’avoir maîtrisé la réutilisation et le ravitaillement en orbite. Une version lunaire du Starship et un vaisseau Orion « suffisent »[5].

Les choses sont en réalité moins simples…

Ce Starship en version lunaire, incapable de revenir intègre sur la Terre, devrait : 

  • soit y revenir en se consumant pour partie dans l’atmosphère et plongeant dans l’océan pour le reste ;
  • soit devenir le débris spatial le plus cher du monde, 
  • soit encore, option la plus « vendable au public et au politique », attendre en orbite terrestre d’être ravitaillé en carburant par d’autres Starship capables, eux, de faire l’aller-retour entre la Terre et l’orbite. 

Mais cette troisième option, qui séduirait les spin doctors, exigerait de disposer en 2026 d’une définition figée de la version lunaire et de jouer gagnant sur cette définition qui n’aura pas été validée. Une option séduisante mais tout à fait irréaliste…

(Par ailleurs, il ne pourrait pas non plus s’écouler un temps infini entre sa mise en orbite et l’arrivée des Starships ravitailleurs. Suivant l’altitude choisie le frottement atmosphérique freinerait et ferait redescendre, plus ou moins vite, le Starship encalminé.) 

La NASA devra donc « consommer » un Starship lunaire pour cette seule étape ; ce qui représente un coût élevé, en dollars mais aussi en termes d’image. La mission mettra en évidence la démesure de ce projet, en partie issue du choix du Starship comme alunisseur. 

Un coût terrible… mais aussi un prix à payer pour, entre autres, remettre la sécurité des astronautes en priorité. 

La substitution d’Artémis 4 à Artémis 3 …so what ?

Cela pourrait sembler plus clair ; il ne s’agirait que d’avancer le déploiement de la station spatiale en orbite lunaire avec le lancement dès 2026 du premier module de service et du premier module d’habitation. 

L’étonnement ici tient d’abord au fait que les programmes d’infrastructures spatiales, particulièrement ceux en coopération internationale, nous ont jusque-là peu accoutumés à être en avance. L’anticipation serait d’un an; ce n’est pas rien ! Les matériels pourront-ils être qualifiés avec un an d’avance pour décoller vers l’orbite lunaire ? 

Mais le plus important est ailleurs : cette mission Artémis 4 n’a strictement aucun rapport avec l’actuelle Artémis 3. Ce ne sont ni les mêmes lanceurs, ni la même destination et les deux missions ne sont pas consécutives l’une de l’autre dans une même logique de développement. Artémis 4 n’attend rien d’Artémis 3… et vice-versa. 

Anticiper Artémis 4 sans fixer un nouvel horizon pour les nouveaux premiers pas sur la Lune c’est pour la NASA raccrocher la casserole au clou. Artémis 3 a été intercalée au forceps dans une programmation principalement tournée vers la Deep Space Gateway, quand le vice-président de l’époque, Mike Pence, a du faire les gros yeux à une NASA qui n’en finissait pas de ne pas comprendre qu’on lui demandait de marcher « sur » la Lune, pas de batifoler « autour » de la Lune. Ceux qui se souviennent de cette époque entendent à nouveau, dans cette alternative remise sur la table, les deux mêmes messages de la NASA d’alors :

« On ne peut pas courir deux lièvres à la fois » et

« Nous, ce qu’on veut c’est d’abord la Gateway ».

Sortir du flou serré ?

Quand le bateau merdouille au près serré, il faut abattre[6] pour reprendre un peu de vitesse en le calant plus nettement sur un bord. 

Il faut sortir du flou serré. 

Ces deux alternatives ont le mérite de remettre un tout petit peu de logique dans ce programme qui, jusque-là, en manque singulièrement. Mais elles s’inscrivent l’une et l’autre dans la poursuite d’objectifs différents qui, pour n’avoir jamais été correctement agencés ont amené le programme au « flou serré ». 

C’est maintenant au « Politique » de reprendre la main et de dire.

Ce sera ensuite à la NASA de reconstruire un véritable programme avec des solutions techniques et un plan de développement crédibles, sans confondre technique et science-fiction, et se tenant dans un seul rôle d’exécution… … comme cette agence savait le faire dans un passé lointain.


[1] Space Launch System, la fusée développée pour les missions d’exploration de la NASA, homologue de l’iconique Saturne V

[2] Vaisseau prévu d’être lancé par le SLS pour abriter les astronautes pendant le trajet Terre-Lune et retour, homologue de l’iconique capsule Apollo. 

[3] Artémis 2 sera la mission homologue d’Apollo 8 commandée par Frank Borman en décembre 1968 (premier survol habité de la Lune). 

[4] Il s’agit d’une station spatiale en orbite lunaire, évoluant entre 3 000 et 70 000 kilomètres de la Lune. Il ne faut pas la confondre avec les projets encore très incertains de base sur le sol lunaire. 

[5] Ce qui n’est déjà pas une mince affaire, Starship n’ayant toujours pas atteint l’orbite. 

[6] s’écarter de la direction du vent, le contraire de remonter ou « lofer »

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